Petit Séminaire St-Basile-le-Grand à Cuba 1964
— Croyez-vous en Dieu ?
— Oui.
— Religion ?
— Catholique.
— Allez-vous à l’église ?
— Oui.
Des litanies, penseront
les lecteurs. C’étaient en fait les questions répétées par le militaire en
service qui m’interrogeait au bureau de recrutement. Parfois, c’était un
milicien — c’est ce que suggéraient ses vêtements en tout cas —, et parfois
c’était quelqu’un d’autre portant un uniforme vert olive.
Quelques jours après
avoir fêté mes 16 ans, en novembre 1965, je sortais du séminaire San Basilio
Magno, à El Cobre. Cette phrase de l’Évangile résonnait dans ma tête :
« Multi enim sunt vocati, pauci vero
electi (beaucoup sont appelés, peu sont élus). » La vie sacerdotale
n’était pas pour moi. Né et éduqué dans un milieu catholique, j’ai pensé
pendant un moment que c’était le chemin que je devais suivre. Ce ne fut pas le
cas.
Toutefois, je conservais
ma foi malgré les turbulences de ces années durant lesquelles, pour un oui ou
pour un non, ils t’emprisonnaient ou te fusillaient, peu importait ton âge.
Fréquenter l’église n’était pas bien vu des autorités, ni d’une partie de la
population qui peu à peu s’accommodait de tout pour s’en sortir. En d’autres
mots, plusieurs mettaient Dieu de côté et même le reniaient alors que peu de
temps auparavant ils n’auraient manqué aucune cérémonie religieuse.
Ainsi, moi, ancien
séminariste, catholique pratiquant, punaise de sacristie, servant de messe,
lecteur et membre de la chorale de la cathédrale de Camagüey, j’appartenais à
la catégorie de ceux qu’il fallait réformer. Et comme la manière douce ne
fonctionnait pas, parce que personne n’allait me faire entrer dans le giron
révolutionnaire, c’est par la méthode forte qu’ils sont venus me chercher.
Un bon jour, ou plutôt
funeste pour être honnête, ils commencèrent à me convoquer au bureau de
recrutement, situé à cette époque à l’endroit qui avait déjà abrité la mairie,
sur la rue Cisneros, tout près de la cathédrale, dont j’étais paroissien.
Chaque fois après une
longue attente, l’intervieweur, assis derrière un pupitre plein de dossiers de
gens comme moi, à ce que je pensais, me posait chaque fois les mêmes
questions : nom, prénom, adresse, puis la litanie bien connue :
— Croyez-vous en Dieu ?
— Oui.
— Religion ?
— Catholique
— Allez-vous à l’église ?
— Oui.
Devant ma réponse
invariablement affirmative, le comportement changeait selon le militaire qui
m’interrogeait. Il y avait celui qui remplissait le formulaire avec l’air de
s’en ficher et celui qui cherchait à me provoquer en lançant un blasphème du genre :
« Eh bien, moi, Dieu et la Vierge Marie me font chier ! », en
criant bien fort pour que tout le monde l’entende. Tout était planifié pour
voir comment je réagirais. Et comment réagir devant une personne qui a le gros
bout du bâton à ce moment-là ? En gardant le silence. Même si, à 16 ans, je
me croyais très adulte, je n’avais pas le courage de les affronter, de hurler
ce que je ressentais, de leur dire que j’étais catholique et très fier de
l’être. Il régnait une ambiance bizarre qui me faisait peur et que je défiais
en même temps, sans imaginer le moins du monde les conséquences de mon
entêtement.
J’étais sur des charbons
ardents et je ne m’en rendais pas compte. À cet âge, je ne pensais qu’à partir
à l’aventure, jouer les insolents, tomber amoureux, ne serait-ce que de
l’amour. Aucune préoccupation ne m’atteignait. Sans le vouloir, je les laissais
à mes parents. Je ne voyais même pas l’avenir immédiat. Pendant ce temps,
quelque part à Cuba, quelque chose se préparait, méthodiquement, froidement,
quelque chose qui, sans aucun doute, laisserait ses traces.
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