mardi 11 septembre 2018

CROIRE OU NE PAS CROIRE (por Víctor Mozo)

Petit Séminaire St-Basile-le-Grand à Cuba 1964


— Croyez-vous en Dieu ?
— Oui.
— Religion ?
— Catholique.
— Allez-vous à l’église ?
— Oui.

Des litanies, penseront les lecteurs. C’étaient en fait les questions répétées par le militaire en service qui m’interrogeait au bureau de recrutement. Parfois, c’était un milicien — c’est ce que suggéraient ses vêtements en tout cas —, et parfois c’était quelqu’un d’autre portant un uniforme vert olive.

Quelques jours après avoir fêté mes 16 ans, en novembre 1965, je sortais du séminaire San Basilio Magno, à El Cobre. Cette phrase de l’Évangile résonnait dans ma tête : « Multi enim sunt vocati, pauci vero electi (beaucoup sont appelés, peu sont élus). » La vie sacerdotale n’était pas pour moi. Né et éduqué dans un milieu catholique, j’ai pensé pendant un moment que c’était le chemin que je devais suivre. Ce ne fut pas le cas.

Toutefois, je conservais ma foi malgré les turbulences de ces années durant lesquelles, pour un oui ou pour un non, ils t’emprisonnaient ou te fusillaient, peu importait ton âge. Fréquenter l’église n’était pas bien vu des autorités, ni d’une partie de la population qui peu à peu s’accommodait de tout pour s’en sortir. En d’autres mots, plusieurs mettaient Dieu de côté et même le reniaient alors que peu de temps auparavant ils n’auraient manqué aucune cérémonie religieuse.

Ainsi, moi, ancien séminariste, catholique pratiquant, punaise de sacristie, servant de messe, lecteur et membre de la chorale de la cathédrale de Camagüey, j’appartenais à la catégorie de ceux qu’il fallait réformer. Et comme la manière douce ne fonctionnait pas, parce que personne n’allait me faire entrer dans le giron révolutionnaire, c’est par la méthode forte qu’ils sont venus me chercher.

Un bon jour, ou plutôt funeste pour être honnête, ils commencèrent à me convoquer au bureau de recrutement, situé à cette époque à l’endroit qui avait déjà abrité la mairie, sur la rue Cisneros, tout près de la cathédrale, dont j’étais paroissien.

Chaque fois après une longue attente, l’intervieweur, assis derrière un pupitre plein de dossiers de gens comme moi, à ce que je pensais, me posait chaque fois les mêmes questions : nom, prénom, adresse, puis la litanie bien connue :

— Croyez-vous en Dieu ?
— Oui.
— Religion ?
— Catholique
— Allez-vous à l’église ?
— Oui.

Devant ma réponse invariablement affirmative, le comportement changeait selon le militaire qui m’interrogeait. Il y avait celui qui remplissait le formulaire avec l’air de s’en ficher et celui qui cherchait à me provoquer en lançant un blasphème du genre : « Eh bien, moi, Dieu et la Vierge Marie me font chier ! », en criant bien fort pour que tout le monde l’entende. Tout était planifié pour voir comment je réagirais. Et comment réagir devant une personne qui a le gros bout du bâton à ce moment-là ? En gardant le silence. Même si, à 16 ans, je me croyais très adulte, je n’avais pas le courage de les affronter, de hurler ce que je ressentais, de leur dire que j’étais catholique et très fier de l’être. Il régnait une ambiance bizarre qui me faisait peur et que je défiais en même temps, sans imaginer le moins du monde les conséquences de mon entêtement.

J’étais sur des charbons ardents et je ne m’en rendais pas compte. À cet âge, je ne pensais qu’à partir à l’aventure, jouer les insolents, tomber amoureux, ne serait-ce que de l’amour. Aucune préoccupation ne m’atteignait. Sans le vouloir, je les laissais à mes parents. Je ne voyais même pas l’avenir immédiat. Pendant ce temps, quelque part à Cuba, quelque chose se préparait, méthodiquement, froidement, quelque chose qui, sans aucun doute, laisserait ses traces.

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