L'auteur avec ses parents.
Visita au campement UMAP 1966
Que signifie avoir 16 ans ? Je me dis que c’est peut-être
à cet âge, comme on a l’habitude de le dire, que nous nous croyons ou nous nous
voyons déjà des hommes faits. Mais finalement, à cet âge où on nous appelle des
adolescents, nous sommes encore des enfants ayant besoin de maman et papa, même
si nous le nions fortement. Seize ans, c’est ce que vient d’avoir mon
petit-fils et c’est à lui que je pense en écrivant ces chroniques relatant un passé
qui ne fut pas des plus heureux, mais qui comportait toujours ses enseignements.
Donc, moi, un garçon de 16 ans, je commençais ma vie
d’esclave. Oui, d’esclave, en plein XXe siècle. Et comme moi, il y
en eut beaucoup. Mais je dois ajouter qu’il y avait aussi des vieux qui connurent
l'esclavage en même temps que moi. Quand on a 16 ans, ceux de 30, 40 ans et
plus, on les voit comme des vieux, non ?
On nous appelait des « recrues », et malgré
l'euphémisme, nous étions bien des esclaves. En 1965, dans le Camagüey qui
m’avait vu naître, surgissaient des baraquements pour ces nouveaux esclaves,
une main-d’œuvre bon marché destinée aux travaux agricoles comme le nettoyage
et la coupe de la canne à sucre.
Selon la rumeur, l’idée a germé là-bas en Bulgarie où, lors
d’un voyage, Raúl Castro s’était inspiré de la façon de ces gens de domestiquer
les récalcitrants, notamment ceux qui croyaient en Dieu selon un rite ou un
autre, puisque Cuba devenait, surtout dans les années 1960, une nation où
n'existaient plus « Ni Dieu, ni César, ni Tribun », pour citer un
vers d’un certain hymne prolétaire. Ajoutons à ceux-ci les catholiques, les
adventistes, les épiscopaliens, les témoins de Jéhovah. Mais les croyants
n’étaient pas seuls à former cette main-d’œuvre asservie. Il y avait aussi les
homosexuels qui devaient retrouver à tout prix leur virilité, les délinquants
qu’il fallait remettre dans le droit chemin, les fainéants et les itinérants de
toutes sortes, et surtout, tous ceux qui désapprouvaient le régime et qui,
d’une manière ou d’une autre, ne serait-ce que par leur façon de s’habiller, de
parler, leur éducation, représentaient le danger de la contre-révolution, ou
alors ceux qui, à la recherche d’un vent de liberté, une fois ont voulu quitter
clandestinement le pays. En somme, cette main-d’œuvre esclave formait une espèce
de mélange qui mériterait qu'on en fasse une étude sociologique approfondie.
Créé par la mal nommée révolution de 1959, le Service Militaire Obligatoire,
connu sous le sigle SMO, servirait, à partir de 1965, de canal par lequel
passerait cette main-d’œuvre servile. Et pour qu’il ne subsiste aucun doute sur
la « bonne intention » de la révolution, on appellerait cela Unités Militaires d’Aide à la Production. Ainsi, ça aurait l'air de
simples succursales du SMO. Cependant, l’uniforme, tout comme l’objectif
poursuivi, serait différent : chemise et casquette de toile grise,
pantalon bleu, de toile également, et bottes de travail. Et pour lui donner une
teinte militaire, comme s’il s’agissait de l’uniforme de gala, un pantalon vert
olive pour recevoir les visiteurs et pour les permissions. Nos armes : la
binette et la machette. Et puis marcher comme les militaires, saluer comme les
militaires. Tout un système élaboré pour la plus grande gloire de la
révolution, qui opprimait, brimait, réduisait en esclavage, détruisait l’être
humain, sans distinction d’âge, de croyance ou de race. Pour la révolution,
commençait l’épopée de l’Homme nouveau ; pour moi, à 16 ans, commençait
l’esclavage.
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