La convocation à aller faire
de la marche militaire un dimanche m’était arrivée trois ou quatre jours
auparavant. Il s’agissait d’un papier à en-tête de l’armée, avec signature et
tampon, sur lequel était indiqué que, selon la loi numéro tel, si tu ne te
présentais pas à telle unité militaire située à tel endroit tu pourrais avoir
des problèmes.
Le dimanche était important
pour moi puisque je ne manquais jamais la messe. Depuis que j’étais petit, ce
jour était sacré ; du moins, c’est ce qu’on m’avait enseigné. Et à
l’adolescence, si la messe avait son importance, le temps passé avec les amis
dans la sacristie ou dans le bureau du curé en charge de la cathédrale, à ce
moment-là le père Tarcisio Villafuerte, en avait tout autant. Que les autorités
aient choisi le dimanche ne me surprenait pas.
Le papier indiquait qu’il
fallait que je me présente à 6 h 30 le matin et c’est à contrecœur
que je me pointai à l’heure dite. L’autobus qui m’emmenait là-bas était à
moitié vide et à part deux personnes, les autres passagers, si je me fiais à
leur tête, semblaient rouler vers l’échafaud. Rien de bizarre, j’avais déjà vu
quelques-uns d’entre eux au comité militaire. Une fois arrivés à l’arrêt où
nous descendions, l’unité militaire n’était plus bien loin. Elle impressionnait
avec ses barrières, ses guérites dans lesquelles se tenaient des soldats armés
et ses véhicules militaires.
Bientôt, ce que m’avait dit
Cordobí se confirmerait. Un milicien recueillait les convocations, notait nos
noms et nous indiquait où il fallait se rassembler. Une heure au moins a passé
comme ça jusqu’à ce qu'arrive un autre milicien, qui a crié, aboyé, plutôt, je
dirais : « En formation ! » Me fiant à ce que faisaient les
autres, qui semblaient avoir l’expérience des convocations précédentes, je me
suis mis en rang.
Ainsi, ils nous ont séparés en
trois pelotons de 40 hommes chacun, ce qui composait, selon ce que je venais
d’apprendre, une compagnie. Le milicien qui criait s’est présenté comme étant le
sergent Sacker. Parce qu’il était grassouillet, on l’avait surnommé « le
sergent García », en souvenir de celui qui, rondouillard et empoté, poursuivait
Zorro, personnage de nombreuses aventures du cinéma et de la télévision. Je
n’ai jamais vu les insignes de ce sergent Sacker. Plus tard, j’en connaîtrais
ainsi beaucoup d’autres sans insignes.
Ensuite
vinrent ce que j’appelle maintenant les « aboiements » et qu’en ce
temps-là ils appelaient les « commandements » : « iCompañía atenhó! (compagnie, attention !) »,
hurla le sergent sans grade. Et nous, de nous mettre au garde-à-vous, droits
comme des piquets. Ce commandement d’attention, j’aurai souvent l’occasion de
l’entendre gueuler de différentes façons : « Atenjao, adenjou », etc. « iAlineación derecha! (À droite, alignement !) »
« Enfin, un ordre prononcé comme il faut », me disais-je. « Preparen fren! (Atten...!) »
« iA tu lugar descan! (Place
rep...) » Je n’ai jamais compris pourquoi ils devaient déformer les mots.
L’instant
d’après, nous avons commencé à marcher : « Aran, ho, tres, cuat; aran, ho, tres, cuat... (un, deux, trois,
quatre...) » et puis « par
le flanc gauche ! », « par le flanc droit ! », « Demi-tour ! ».
Le sergent sans grade prenait plaisir à nous faire marcher même s’il suait à
grosses gouttes à cause de son embonpoint. Tout l’exercice consistait à marcher
et marcher encore. Nous ne nous sommes arrêtés qu’un moment pour faire guardia vieja (vieille garde), ce qui voulait dire ramasser et
détruire tous les mégots de cigarette que nous trouvions par terre. Nous étions
dans un pays de fumeurs et les mégots ne manquaient pas.
Nous
avons continué ainsi jusqu’à midi passé. Notre compagnie n’était pas la
seule : j’en avais vu au moins six autres, soit quelque chose comme 720
hommes de différents âges qui marchaient sans avoir droit pour ainsi dire à la
moindre goutte d’eau. Voilà en quoi consistait l’entraînement militaire,
entraînement qui dura quelques semaines.
Pour
terminer, il fallait se taper une harangue révolutionnaire prononcée par un
autre sergent sans grade, celui-ci portant l'uniforme de milicien. Il nous
parlait de patrie et de mort, de révolution et de contre-révolution, sans
oublier les éternels ennemis impérialistes. Épuisés comme nous l’étions, le sermon
nous entrait par une oreille pour aussitôt ressortir par l’autre. Pendant ce
temps-là, nous pouvions entendre une pluie d’insultes lancées à sotto voce et dirigées surtout contre Sacker. Moi, j’étais plutôt préoccupé par
celui qui nous haranguait : le personnage ne m’était pas inconnu.
Ce ne
serait pas la dernière convocation. Viendraient aussi les rendez-vous médicaux.
Et rapidement, d’autres rencontres m’amèneraient à penser que quelque chose de
funeste se préparait. Peu à peu, la fatalité s’abattait sur moi.
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