L'auteur à droite avec son frère Leopoldo
à la cafetería Mozo.
Cordobí
était un de ces petits Noirs qui avaient été cireurs de chaussures dans le parc
Agramonte, au début des années soixante. Si j'ai bonne mémoire, dans ce
temps-là, ils étaient au moins douze toujours là à attendre les clients éventuels,
assis sur les bancs situés presque en face de la cafétéria de mon père, située
au coin de Martí et Independencia. Cordobí, Andrés, Zenobio et Tuto sont ceux
dont je me souviens le mieux. À l’époque de l’abondance, ils venaient à la
cafétéria pour boire un rafraîchissement ou s’acheter une friandise. Ils
étaient beaucoup plus vieux que moi, étant du même âge que mes frères, qui
avaient 7, 8 et 9 ans de plus que moi. À cette époque où les souliers devaient
toujours reluire, Cordobí a nettoyé les miens plus d’une fois. La relation
n’allait pas plus loin. Un beau jour, par la grâce et l’œuvre de la révolution,
les cireurs de chaussures disparurent du parc et, plus tard, la grande majorité
de ceux-ci irait grossir les rangs des hommes à réformer.
Quand
j’arrivais au comité militaire à la suite d’une convocation, chaque fois
j’étais intrigué par la différence d’âge qui existait entre ceux qui avaient
été appelés. Des jeunes comme moi, il y en avait peu, alors que plusieurs des
hommes présents avaient plus de 30 ans. Malgré cela, il ne me venait pas à
l’esprit que quelque chose de bizarre était en train de se passer. Je ne
m’imaginais pas non plus qu’au même moment, dans d’autres provinces, les
comités militaires étaient à pied d’œuvre et interrogeaient, en fait
contrôlaient, des milliers de jeunes et moins jeunes dans le but de leur
organiser un avenir qui tiendrait plus de l’esclavage que de l’entraînement
militaire.
Lors
de ces satanés entretiens, moi qui avais toujours été réservé, je l’étais encore
plus et je ne cherchais à me lier avec personne. Il régnait là une grande
méfiance et les conversations entre ceux qui ne se connaissaient pas étaient
rares. Normal, me dis-je maintenant.
Donc,
lors d’une de ces convocations, quelqu’un m’interpela par le diminutif de mon
nom de famille. C’était Cordobí, le cireur de chaussures.
– Mozito,
qu’est-ce que tu fais ici ?
– Ils
m’ont appelé pour le service militaire, je crois.
– Bizarre,
Mozito. Il y a quelque chose qui ne va pas, ici.
Malheureusement,
la vie avait été rude avec Cordobí. Contrairement à moi, c’était le type de la
rue, peu ou pas instruit, qui avait appris à la dure. S’il ne savait pas tout, simplement
de voir les gens autour de moi, son intuition lui disait que quelque chose
allait de travers. « Regarde, Mozito, il y a beaucoup de petits vieux,
ici. Quelque chose ne va pas », répéta-t-il, et moi, je ne comprenais
toujours pas.
– C’est
un comité militaire, non ?
– Oui,
Mozito, mais c’est bizarre, il y a beaucoup de voyous, me dit-il à voix basse.
Écoute, mon garçon — je n’étais plus Mozito —, me dit-il sur un ton sérieux,
essaie de te sortir de cette merde, parce que j’ai l’impression que si non ça
va être très dur pour toi.
Cordobí,
qui voyait déjà ce qui était en train de se passer, m’avertissait, dans son
langage de la rue, que les choses ne seraient pas faciles. Moi, je ne voyais
toujours rien.
– Est-ce
qu’ils t’ont déjà appelé pour la marche militaire du dimanche ?
– Non,
lui répondis-je. Pour marcher ?
– Oui,
comme des imbéciles, sous un soleil de plomb et sans pouvoir s’enfuir avec tous
ces soldats armés qui nous emmerdent.
Je ne
savais pas quoi dire. Alors, devant mon silence et pour changer de sujet,
Cordobí me dit : « Eh, Mozito, ton père, quel grincheux c’était,
mais, merde, aller là pour acheter une boisson fraîche et du nougat à
l’arachide Roselló, ça n’avait pas de prix. » Cordobí parlait d’une autre
époque. Malgré tout, il me faisait peur. À moins que ça ait été sa façon à lui
de m’alerter pour que je me prépare. Il ne se trompait pas. Ce sont des vents
mauvais qui soufflaient et tôt ou tard nous serions des compagnons d’infortune.
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